Pharmacie / Hygiène

Rencontre : le Pr Gaëtan Gavazzi, gériatre et infectiologue


Publié le Mardi 10 Juin 2025 à 15:06

Chef du service de médecine gériatrique au Centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes (CHUGA), le Professeur Gaëtan Gavazzi est spécialisé en gériatrie et infectiologie, deux domaines complémentaires qui l’ont tout naturellement amené à étudier le risque infectieux chez la personne âgée et l’importance de la vaccination. Rencontre.


Pourriez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a amené à choisir la gériatrie ?
Pr Gaëtan Gavazzi : Je me suis orienté vers la gériatrie durant mon clinicat, alors que je travaillais sur le VIH. Rapidement, la gériatrie m’a passionné, car elle englobe plusieurs aspects qui m’attirent : la complexité des cas avec des patients poly-pathologiques aux diagnostics parfois peu évidents, la diversité des situations rencontrées, ainsi que l’accompagnement psycho-affectif et social. J’ai toujours été sensibilisé à l’accompagnement de populations discriminées, une dimension déjà présente dans mes travaux sur le VIH. Cela étant dit, j’estime qu’en France, la principale discrimination ne porte ni sur le genre ni sur l’ethnie, mais sur l’âge. Nous vivons dans une société âgiste, et nous devons en être conscients.

Vous dirigez actuellement le service de médecine gériatrique du CHUGA. Pourriez-vous nous présenter ses activités ?
Notre service est principalement composé d’unités de soins aigus et de médecine ambulatoire. Nous sommes aussi un centre de référence et d'expertise territoriale, en lien avec divers acteurs du territoire impliqués dans la prise en charge des personnes âgées, qu’il s’agisse de professionnels de santé ou d’acteurs sociaux. Les EHPAD font partie de nos partenaires clés et bénéficient d’un accompagnement adapté. Depuis la crise Covid, nous avons mis en place une cellule territoriale qui se réunit toutes les trois semaines pour aider les EHPAD à éviter des hospitalisations inutiles et accompagner les médecins coordonnateurs. Nous avons également une hotline qui permet à ces médecins d’entrer en contact avec un gériatre à tout moment.

Qui participe à ces réunions de la cellule territoriale ?
Les 52 EHPAD du territoire y sont conviés, soit en présentiel, soit en visioconférence. Nous travaillons aussi en collaboration avec l’Agence régionale de santé (ARS), la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), le Conseil départemental, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les pharmaciens et le Réseau inter-établissements de prévention des infections nosocomiales (RIPIN). Tous ne sont pas toujours présents, mais la mobilisation reste forte et permet un suivi efficace des infections à l’échelle du territoire, tout en aidant considérablement les EHPAD à travers un partage de l’expertise et des actions de prévention. Car, rappelons-le, le risque infectieux est important en EHPAD, puisque ces établissements cumulent plusieurs facteurs de risque : la présence de personnes fragiles, la vie en communauté, le manque de moyens. 

En quoi le manque de moyens en EHPAD accroît-il le risque infectieux ?
Au début de la crise sanitaire, par exemple, le manque de moyens humains et matériels a entravé la limitation des transmissions. Cette problématique est toujours présente en EHPAD, où les ressources en personnel et en matériel restent insuffisantes. Pourtant, du temps est nécessaire pour éduquer aux gestes de prévention et pouvoir les appliquer correctement. On peut aussi noter que seule la moitié des EHPAD bénéficie du soutien des Équipes opérationnelles d’hygiène, pourtant essentielles pour prévenir et gérer le risque infectieux.

Quelles actions prioritaires doivent être mises en place pour limiter ce risque ?
Deux axes sont fondamentaux : renforcer les mesures d'hygiène et développer une politique vaccinale globale pour protéger l'ensemble des personnes âgées ou vieillissantes, en EHPAD ou non. Les infections respiratoires ne sont pas toujours mortelles, mais elles sont une cause majeure de perte d'autonomie, conduisant à une dépendance accrue. Les pouvoirs publics doivent investir dans une “dissuasion infectieuse par les vaccins” en favorisant une véritable politique vaccinale, plutôt que de se limiter à des recommandations. Cela passe par une meilleure traçabilité de la vaccination, des rappels automatisés, des consultations vaccinales spécifiques et une meilleure rémunération des professionnels pour cet acte. Lorsque l’on regarde les études sur le sujet, la majorité des personnes non vaccinées ne le sont pas par refus, mais par manque d’accès au moment opportun. À terme, une réelle politique vaccinale permettra aussi de réaliser des économies, en limitant le nombre de malades et l’acquisition de dépendances liées à ces maladies.

Vous interviendrez au prochain congrès de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), à Marseille du 4 au 6 juin. Quel sera le sujet de votre présentation ?
Je participerai à une conférence sur les spécificités du risque infectieux chez les sujets âgés et les nouveau-nés. Je mettrai donc naturellement l’accent sur l’importance d’une politique vaccinale efficace. Si les soignants vaccinent peu, ce n’est pas par manque de volonté, mais parce qu’ils sont confrontés à des difficultés d’accès aux doses, à une rémunération insuffisante, à des recommandations complexes et à une traçabilité défaillante. J’évoquerai aussi la complexité du diagnostic et de la prise en charge des infections chez les personnes âgées.

Quelles principales difficultés de diagnostic rencontrez-vous ?
Elles sont nombreuses mais, pour résumer, les symptômes d’infection chez les personnes âgées sont souvent atypiques : la fièvre est moins prononcée et les signes classiques peuvent être absents. De plus, certains examens complémentaires sont difficiles à réaliser, que ce soit pour des raisons médicales ou par manque d’attention due à l'âgisme ambiant. Nous sommes tous, à divers degrés, influencés par cet âgisme. Un professionnel de santé débordé prendra moins le temps d’écouter un patient ayant du mal à s’exprimer. Regardez comment les personnes âgées sont parfois traitées à l’hôpital : elles peuvent attendre plusieurs heures dans un coin de couloir… Les personnes âgées sont souvent invisibilisées dans les structures de soins, ce qui décourage certaines d’entre elles de passer des examens. Nous devons donc travailler sur cet aspect pour améliorer leur prise en charge et leur qualité de vie.

> Article paru dans Ehpadia #39, édition d’avril 2025, à lire ici 

Le Pr Gaëtan Gavazzi, un expert engagé en gériatrie et en infectiologie

Chef du service de médecine gériatrique au CHU Grenoble Alpes (CHUGA), le Pr Gaëtan Gavazzi est un spécialiste reconnu en gériatrie, infectiologie et médecine interne. Après une thèse de science menée à Genève sur le vieillissement et les pathologies cardio-vasculaires liées à l’âge, le Grenoblois revient au CHUGA en 2005 en tant que maître de conférences, avant d’être nommé professeur en 2011. Aujourd’hui à la tête du service de médecine gériatrique, il joue un rôle actif dans plusieurs instances nationales et internationales.

Le Pr Gavazzi préside notamment le Collège national des enseignants de gériatrie (CNEG) et siège au bureau de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG). À l’échelle régionale, il dirige le comité d'orientation et d'expertise (Cose) du gérontopôle Auvergne-Rhône-Alpes et coordonne l’Unité de coordination en onco-gériatrie (UCOG) du Sillon Alpin. Son engagement dépasse aussi les frontières françaises : il contribue aux travaux du groupe européen sur les infections gériatriques au sein de l’European society of clinical microbiology and infectious diseases (ESCMID).
 


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